Le style, entre langue et rhétorique
Résumé: L’article soutient que le style n’est pas un écart, mais qu’il se construit en respectant la langue, dont il exploite les possibilités, en particulier celles que l’usage courant n’utilise pas. Cette exploitation concertée constitue une mise en forme du matériau linguistique et parallèlement, un travail d’individuation de l’écrivain. Il implique un engagement vis à vis de la langue et du monde, qui est en définitive de nature essentiellement rhétorique.
Mots-clés: grammaire – rhétorique – travail – individuation – engagement
Après avoir connu une longue désaffection, la stylistique est revenue en force, en liaison avec le développement de la pragmatique et de l’analyse du discours. La conséquence en est que le déplacement des considérations de l’énoncé vers l’énonciation l’a élargie au point qu’on ne peut plus lui attribuer de limite claire. Je voudrais donc ici préciser ma propre conception, appuyée sur une définition du style, que je défends depuis longtemps. Elle met en jeu deux convictions. Selon la première, le style est lié au maniement de la langue (cela semble un truisme, mais ne l’est pas vraiment quand on considère par exemple la stylistique dite littéraire ou certaines formes de la pragmatique qui, sous prétexte de parler d’énonciation ou d’interaction, ignorent le détail grammatical de l’énoncé) : pour moi, la stylistique est fondamentalement grammaticale.
Selon la seconde, le style est tout, sauf un écart, conception qui sous-tend malheureusement la plupart des analyses, même si on l’habille de termes plus modernes, comme « transgression » ou «subversion». Outre la difficulté qu’il y a à préciser par rapport à quelle norme se définit le prétendu écart, elle cantonne le style dans l’infraction, alors qu’il se fonde sur la reconnaissance des virtualités inscrites dans le langage. Les figures de style, terrain privilégié du soi-disant écart, ne sont pas des déviations, ce sont moins des figures à proprement parler que « des configurations ordinaires, porteuses d’un potentiel de figurativité, qui associent les différents niveaux grammaticaux dans le passage du système à l’énoncé. Aucun écart donc, mais des jeux de convergence ou de divergence de faits linguistiques dans un contexte et une situation donnés.[1]» Pour ne prendre qu’un exemple, celui d’une expression banale comme « manger du curé à tous les repas », certes, le déterminant partitif n’est pas attendu avec un terme comptable comme « curé » qui renvoie à du discontinu (« un curé »), mais ce qui compte, c’est l’alliance créée qui permet à « curé » d’être transféré, grâce au déterminant, dans la catégorie des substantifs qui renvoient à des substances. Il ne s’agit pas de faire un constat, ce à quoi se limite l’analyse par la notion d’écart, il s’agit de mettre en lumière un mécanisme dynamique, ici un mécanisme de transfert. Les caractéristiques du langage que sont la créativité et la sémanticité[2] conduisent en effet à doter de sens n’importe quelle alliance de mots, dans un contexte et une situation évidemment propices, et cette possibilité est au cœur même du langage. Sans elle, il ne pourrait y avoir de vie des langues. La métaphore en est l’exemple le plus clair. Le fonctionnement jugé ordinaire de la langue n’est le plus souvent qu’une restriction opérée dans les virtualités immenses qu’elle offre. D’une certaine façon, tout écrivain est aussi un grammairien, et ce n’est pas dans la désinvolture vis à vis des règles de la langue que se construit le style, mais dans une attention aux faits grammaticaux maîtrisés. C’est dire que ma conception du style repose en définitive sur une conception du langage, qui est tout sauf un code, lequel serait défini par des règles rigides du type de celle-ci : on ne doit pas employer un déterminant partitif avec un nom comptable. Il faut raisonner en termes de règles générales (tout substantif demande à être actualisé par un déterminant) et de tendances (il y a affinité entre un substantif non comptable et un déterminant partitif). Le style est bel et bien un jeu avec des virtualités inscrites dans le système, qui est tout, sauf rigide.
Le style et le primat de la langue
Quand un peintre dispose de couleurs, de lignes, la seule matière que l’écrivain possède, ce sont les mots. Dans ses Conseils à un jeune poète, Max Jacob donnait celui-ci, qu’il considérait comme primordial : « Aimer les mots. Aimer un mot. Le répéter, s’en gargariser ». Aimer les mots, c’est aimer sa langue, ce qui implique qu’on la respecte. Roger Caillois, dans Le Fleuve Alphée, le déclare sans équivoque :
Pour ma part, j’ai toujours traité ma langue avec un respect religieux. J’aurais plutôt renoncé à une science dont le vocabulaire rebutant m’eût obligé à la malmener. De la traiter avec désinvolture, je n’ai jamais éprouvé le besoin, mais plutôt celui d’en accroître les ressources latentes.[3]
Étendre les possibilités de la langue, « en accroître les ressources latentes », et non pas la pervertir ou la subvertir, comme on le dit trop souvent, voilà ce que font les écrivains.
Mallarmé est redouté pour ses difficultés. Soit ce simple quatrain du sonnet « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui… » :
Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.
Que l’interprétation ne soit pas immédiate ne signifie pas que la grammaire y soit mise à mal. Au contraire : Mallarmé en fait une utilisation spécifique, attentive, qui se voit par exemple dans l’expression « Un cygne d’autrefois », puisqu’il utilise là cette propriété des langues que Dumarsais dans son Traité des tropes appelle « sens divisé » :
Quand l’Évangile dit, les aveugles voient, les boiteux marchent (Matthieu XI 5), ces termes, les aveugles, les boiteux, se prennent en cette occasion dans le sens divisé, c’est-à-dire, que ce mot aveugles se dit là de ceux qui étaient aveugles, et qui ne le sont plus ; ils sont divisés, pour ainsi dire, de leur aveuglement ; car les aveugles, en tant qu’aveugles, ce qui serait le sens composé, ne voient pas.[4]
Le « cygne d’autrefois » n’est plus celui d’autrefois, il est celui de maintenant, et la division du sens est d’autant plus facile qu’il s’étale sur deux mots, cygne et autrefois, au lieu d’être ramassé en un seul, comme aveugle. On peut aussi souligner l’emploi du présent dans « se délivre », à première lecture paradoxal, puisque le cygne, précisément, n’arrive pas à se délivrer de la glace dans laquelle il est pris. Le sens est ici de « cherche à se délivrer », conforme sans doute à la syntaxe latine (présent dit d’effort), comme on le souligne souvent, mais surtout à la valeur aspectuelle du présent en français, non borné : le cygne peut bien se délivrer, au bout du compte il n’est pas délivré. Mallarmé travaille aux marges, il explore les possibilités de la langue, il la « creuse », comme il disait « creuser le vers ».
Lorsque Rimbaud, qui se flattait d’avoir trouvé une nouvelle langue (mais « trouver » peut aussi signifier « mettre la main sur » quelque chose qui existe déjà, comme on trouve un trésor) écrit dans Chant de guerre parisien :
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières !
La construction « arriver crouler », pour surprenante qu’elle soit, représente seulement l’exploitation de la règle générale suivant laquelle un verbe de mouvement, quand il marque l’aspect, peut être suivi d’un infinitif. L’usage restreint arbitrairement cette possibilité inscrite dans le système à quelques verbes, « venir », « courir », « monter », « descendre », Rimbaud ne fait rien d’autre que l’étendre à « arriver ». Il utilise des potentialités inscrites dans le système, même si c’est au prix d’un conflit[5] provisoire entre la construction et le lexique, entre la propriété habituelle des verbes de mouvement et le fait que « arriver » ne fait pas partie de ceux qui l’admettent ordinairement. On pourrait décrire cela en adoptant la distinction de Jean-Claude Milner et parler du possible de langue, inscrit dans le système, et du possible matériel, qui relève de l’usage[6].Dans le jeu du système et de l’usage, les possibilités de la langue peuvent être réduites, elles ne sont pas supprimées et c’est le travail de l’écrivain de les réactiver.
Ce travail prend plusieurs formes, dont voici quelques exemples empruntés au verbe, plus facile à caractériser par sa syntaxe que le substantif. Il arrive qu’entre l’emploi propre et l’emploi figuré, on observe des différences de construction. C’est le cas avec les « verbes psychologiques » étudiés par Nicolas Ruwet[7]. Au sens propre, ils décrivent un processus engagé par leur agent et qui affecte physiquement un être ou un objet : « frapper », « effleurer », « froisser », « secouer », etc. Au sens figuré, ils renvoient à un comportement psychologique. Selon l’emploi, les compléments qui les accompagnent pour désigner l’instrument avec lequel se fait l’atteinte présentent des prépositions différentes :
propre : Brutus a frappé César d’un coup de poignard.
figuré : Brutus a frappé César par son ambition.
propre : La fée a ensorcelé le chevalier avec un philtre.
figuré : Marie a ensorcelé Jacques par sa beauté.
On pourrait citer d’autre propriétés, comme le fait que l’adjectif verbal en « –ant » se spécialise dans l’emploi psychologique :
Ces flèches sont frappantes par leur longueur.
*avec un bruit sec.
Une autre forme de construction du style très productive est l’extension de propriétés[8],
que l’on observe dans cet exemple :
Personne y va, gros nigaud !…
C’est tout ce qu’il trouve à me grincer !… (Céline, Le pont de Londres)
Il s’agit de l’emploi de « grincer » comme verbe de parole (« tout ce qu’il trouve à me dire en grinçant »). C’est d’ailleurs presque un tic chez Céline :
L’autre brute m’houspille. Il me secoue qu’on passe à table. (Céline, Le pont de Londres)
Ce deuxième exemple est particulièrement clair puisque « secouer » n’est même pas un verbe impliquant un bruit, à la différence de « grincer » et qu’il est construit avec une proposition complétive en « que » (« il me dit qu’on passe à table »).
Qu’est-ce donc ici que le fait de style, sinon l’emploi de constructions inscrites dans la langue : n’est-il pas plus intéressant de repérer et de décrire le mécanisme à l’œuvre que de dire seulement que « secouer » n’est pas employé comme il devrait l’être et qu’il s’agit d’un écart ?
Su style à la rhétorique
Céline, comme Mallarmé, ou Rimbaud, manie de façon concertée la langue. Si l’on en croit le philosophe Gilles-Gaston Granger, le style est de fait fondamentalement un travail, quel que soit le domaine concerné. Pour lui, toutes les productions humaines se caractérisent par un style « défini comme modalité d’intégration de l’individuel dans un processus concret qui est travail, et qui se présente nécessairement dans toutes les formes de la pratique[9]». Le travail consiste dans une confrontation avec des matériaux, le bois comme les mots ou les signes de la science. Dans cette confrontation, se fait jour un processus d’appropriation et d’individuation, du matériau lui-même et du producteur, qu’il soit menuisier ou écrivain. Granger consacre d’ailleurs plus de pages aux mathématiques et aux sciences qu’à la littérature.
L’écrivain, lui, s’emploie dans tous les cas à informer – au sens de donner forme à – la langue qui est son matériau, et, partant, il construit sa propre individualité et identité. Dans les termes de Michel de Certeau, on peut dire que « les choses qui entrent [sur la page] sont les indices d’une passivité du sujet par rapport à la tradition ; celles qui en sortent, les marques de son pouvoir de fabriquer des objets[10]». Et il oppose au discours, par lequel une identité se construit, « le cri, écart ou extase, révolte ou fugue[11]». Cette identité n’est évidemment pas celle de l’individu particulier, mais de l’écrivain : l’homme Racine, tranquille père de famille, n’a rien à voir avec Racine dramaturge de la passion[12].
En littérature, le style est un travail plus concerté que dans des usages ordinaires, avec et sur les mots, sur les unités minimales inférieures à la phrase avant l’agencement dans un ensemble plus vaste. Mais au fond, il n’y a pas de différence de nature entre un usage ordinaire et un usage concerté, qui se fait au terme de tâtonnements conscients ou non. La critique génétique, qui peut et doit être une étape de l’analyse stylistique, quand des brouillons permettent d’explorer le cheminement vers le texte définitif, met en évidence ces hésitations jusqu’à ce qu’émerge l’expression juste, celle qui individue, distingue, stylise, en liaison avec des pulsions le plus souvent souterraines et avec ce que l’on peut appeler l’engagement du locuteur.
La construction d’un style, quelle que soit l’époque, et avec des spécificités diverses, est en effet fait d’un engagement dans des voies qui, aurait dit Caillois, piègent[13] l’écrivain, mais qui, en même temps, lui permettent de construire sa musique propre et son univers. Le style consiste d’abord en choix linguistiques successifs (conscients ou non, peu importe) qui conduisent le locuteur à s’engager dans une langue particulière – généralement, mais pas nécessairement sa langue maternelle, comme le montre l’exemple de Beckett –, dans une époque, souvent celle à laquelle il vit (mais il peut aussi choisir l’archaïsme ou l’innovation). Ces choix sont liés à celui d’un genre et d’un type d’écriture spécifiques qui portent la marque de ses goûts profonds, et qu’on ne peut évidemment réduire à une liste faits de langue. Pas de littérature sans contrainte, ou, en tout cas, sans convention. C’est ainsi que Wellek et Warren définissent les genres, cet au-delà du texte qui lui donne en grande partie ses structures :
Il faut considérer le genre comme un concept « régulateur », comme une structure latente, une convention réelle, c’est-à-dire efficace en ce qu’elle informe la rédaction des œuvres concrètes[14].
C’est la conception que reprend Antoine Compagnon dans ses leçons au Collège de France :
Les genres littéraires sont des conventions comme les autres formes du discours. L’œuvre s’individualise sur ce fond institutionnel, plus ou moins structuré suivant l’expérience acquise […] Le jeu est ouvert. L’écrivain peut accepter les conventions les plus strictes d’un point de vue formel et donner un contenu des plus audacieux dans ce cadre des plus contraints (comme Racine ou Baudelaire), ou chercher à modifier la forme tout en donnant un message conforme au goût du public (comme Corneille)[15].
Pour un écrivain classique comme pour un écrivain de la modernité tel que Baudelaire, le jeu consiste à aller du donné au construit, dans un travail spécifique d’appropriation.Cet engagement est lui-même sous l’influence de préoccupations rhétoriques. Ainsi, le style se bâtit-il dans le chemin qui va du fait de langue à l’extérieur du discours. Choisir un genre, c’est par exemple choisir une posture, ou une conduite, au sens du médecin-philosophe-linguiste Pierre Janet[16], c’est à dire un comportements face au monde et à la façon de le saisir. Il distinguait ainsi les conduites du portrait et du récit : les premières sont fondées sur l’imitation, visible par exemple dans le portrait en peinture ou en littérature, et, pour faire allusion au genre, le théâtre. Les conduites du récit sont celles par lesquelles on cherche à saisir l’événement, à le raconter, dans la chronique, l’histoire, mais aussi le récit romanesque. Sur fond des constantes qu’offre le système de la langue, les faits agencés seront modulés par ces attitudes : un seul exemple suffirait à le prouver, celui de l’emploi des temps. Dans le roman, il permet au narrateur de se positionner par rapport à l’action, de définir une chronologie mais aussi une distance par rapport aux événements. Cette distance, par le passé simple, la plupart des romans du XIXe siècle, l’indiquent clairement. En revanche, le présent qui court d’un bout à l’autre de la plupart des romans de Marguerite Duras la gomme complètement, comme au fond dans la poésie lyrique, où c’est le déroulement des sentiments et des impressions, sans recul, qui domine[17].
L’orientation du style par la rhétorique se définit ensuite en termes d’ethos (représentation de soi par l’écrivain dans son discours) et de pathos (représentation de l’autre, qui oriente ce discours). Inhérentes à la nature et au fonctionnement même du langage, ces préoccupations sont liées à l’époque et à la situation auxquelles appartient le locuteur, qu’il y adhère pleinement (position classique) ou qu’il veuille marquer sa différence (position romantique). Dans tous les cas, elles se marquent par des faits grammaticaux. Lorsque Saint-John Perse se met en scène dans son œuvre comme un homme d’action et non comme un poète isolé de la « chaussée des hommes de son temps », le lexique comme la syntaxe sont convoqués pour donner une impression de dynamisme qui colore l’ensemble de ses textes. C’est ainsi qu’un critique a consacré un livre à sa « poésie du mouvement[18]».
La définition de la rhétorique que propose Michel Meyer[19] permet de mieux comprendre le va et vient du détail grammatical à la construction d’ensemble. Si elle est la négociation par le logos de la distance entre deux individus à propos d’un problème, on comprend que l’agencement des faits de langue permette de jouer sur cette distance. Tous ceux qui impliquent l’inclusion du locuteur dans le groupe de ses interlocuteurs la nient : « Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. » Telle est la première phrase du Livre de ma mère d’Albert Cohen. On note le passage du distributif « chaque » à « tous », qui indique encore plus clairement la communauté des hommes, et au déterminant encore plus personnel « nos ». C’est annuler la distance qui pourrait exister du fait d’expériences différentes entre l’écrivain et ses lecteurs. D’autres faits l’accroissent. C’est le cas dans l’enthymème employé par Néron dans Britannicus : « Je sais l’art de punir un rival téméraire », qui refuse l’adresse directe par le « vous » ou le « tu » au profit d’une loi générale implicite, selon laquelle tous les rivaux téméraires doivent être supprimés. La loi est sans appel. Le pathos est en apparence réduit, mais la froideur de Néron est terrifiante, et c’est très normalement en termes de passions que répond Britannicus, qui parle explicitement de crainte pour la nier et affirmer son refus de céder à la menace :
Pour moi, quelque péril qui me puisse accabler,
Sa seule inimitié peut me faire trembler.
Le style se construit ainsi dans un engagement du locuteur, il est bien ainsi la résultante de choix linguistiques successifs (conscients ou non, peu importe) qui acquièrent une pertinence dans cet engagement et prennent toute leur signification par la prise en compte du niveau rhétorique, où ils s’articulent sur une ontologie, c’est-à-dire une situation et une représentation du monde, de soi (ethos) et des autres (pathos).
Dans la construction du style, on peut ainsi poser trois niveaux : le niveau grammatical, celui des micro-unités inférieures à la phrase et de la phrase (ou unité textuelle), le niveau spécifiquement stylistique, où certains de ces faits acquièrent une pertinence dans la série d’engagements dont il a été parlé, et le niveau rhétorique, où ils prennent toute leur signification en s’articulant sur une ontologie, c’est-à-dire une situation[20] et une représentation du monde, de soi (ethos) et des autres (pathos). Le style constitue un palier intermédiaire entre la grammaire et la rhétorique : il intègre la grammaire et lui-même est intégré dans la rhétorique, et dans une véritable ontologie, qui est représentation du monde. Il mérite mieux que d’être réduit à un écart.
Joëlle Gardes Tamine
Professeur émérite
POUR CITER CET ARTICLE Joëlle Gardes Tamine, « Le style, entre langue et rhétorique », Nouvelle Fribourg, n. 1, juin 2015. URL : https://www.nouvelle-fribourg.com/universite/le-style-entre- langue-et-rhetorique/
NOTES
1 Voir J. GARDES TAMINE, Pour une nouvelle théorie des figures, Paris, PUF, 2011.
2 Voir C. HOCKETT, A Course in Modern Linguistics, New York, Macmillan, 1958.
3 R. CAILLOIS, Le Fleuve Alphée, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1992 [1978], p. 72-73.
4 Dumarsais, Des tropes ou des différents sens, présentation, notes et traduction Françoise Douay-Soublin, Paris, Flammarion, coll. « Critiques », 1988 [1730], p. 203.
5 Sur la notion de conflit, voir M. PRANDI, Grammaire philosophique des tropes. Mise en forme linguistique et interprétation discursive des conflits conceptuels, Paris, Éditions de Minuit, 1992 et Laurent Gosselin, Laurent, Sémantique de la temporalité en français. Un modèle calculatoire et cognitif du temps et de l’aspect, Louvain-la-neuve, Duculot, 1996.
6 J.-C. MILNER, Introduction à une science du langage, édition abrégée, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1995.
7 N. RUWET, Grammaire des insultes et autres études, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 181-251.
8 Voir M. GROSS, Méthodes en syntaxe. Régime des constructions complétives, Paris, Hermann, 1975.
9 G.-G. GRANGER, Essai d’une philosophie du style, Paris, Odile Jacob, 1988 [1968], p. 8.
10 M. de CERTEAU, L’invention du quotidien. 1. L’art de faire, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1990, p. 200.
11 Ibid., p. 219.
12 Voir G. FORESTIER, Jean Racine, Paris, Gallimard, coll. « Biographies nrf », 2006.
13 « À la fin, je me retrouvais hors de la nasse, dans la faible mesure où il est possible de s’en échapper, je veux dire : intellectuellement. Or c’était là justement où j’étais de loin, le plus engagé, le plus piégé. » (Le Fleuve Alphée, op. cit., p. 54). La nasse désigne précisément l’univers de la culture.
14 R. WELLEK et A. WARREN, La théorie littéraire, Paris, Éditions du Seuil, 1971 [1942], p. 367.
15 A. COMPAGNON, Leçon n° 2 : Norme, essence ou structure ? sur le site www.fabula. org/
16 Voir P. JANET, L’Évolution de la mémoire et de la notion du temps, Chahine, 1928 ; Les Débuts de l’intelligence, Flammarion, 1935.
17 Pour des exemples détaillés, voir J. GARDES TAMINE, « Le travail des mots », dans Style et création littéraire, J. Gardes Tamine (éd.), Actes de la journée d’étude de la Sorbonne du 22 mai 2009, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 65-76.
18 A. HENRY, « Amers » de Saint-John Perse. Une poésie du mouvement, Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1963.
19 Voir M. MEYER, Principia Rhetorica. Une théorie générale de l’argumentation, Paris, Fayard, 2008.
19 Cela implique que l’étude du sens se fasse en plusieurs étapes, d’abord l’étude du signifié et de la construction du sens littéral de la phrase, dans le cadre de la grammaire et du style, puis l’étude de la signification, en fonction des associations propres à chacun, puis enfin du « message », selon les termes de M. PRANDI, Grammaire philosophique des tropes, op. cit. Pour trouver le contenu du message, il faut tirer des inférences de l’énoncé en fonction de la situation et déterminer quel est l’enjeu des paroles, quel est le problème.