La nouvelle voix de Baudelaire
“La musique creuse le ciel”, Ch. Baudelaire
Des vagues tumultueuses et passionnées de notes et de voix se sont mêlées le 21 mai dans le salon Vanvitelliano du Palais Loggia à Brescia. Ceci, grâce à la superbe simplicité de l’idée qui a inspiré cette petite entreprise : réciter avec amour, en version originale, certains poèmes des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. L’évènement, organisé par la Faculté de Sciences Linguistiques et Littératures Etrangères de l’Université Catholique de Brescia avec le parrainage de la municipalité, a été accueilli très positivement par les présents, qui étaient nombreux. Initialement, Federica Locatelli, professeur de littérature française et principale organisatrice du projet, a introduit la figure de Charles Baudelaire et sa relation avec la musique, née lors de sa première écoute d’un concert de Wagner dans le Théâtre des Italiens, le 25 Janvier 1860. Baudelaire n’était pas un expert, mais il a compris tout de suite que les symphonies du compositeur allemand le touchaient intimement. Ensuite, la parole est passée au professeur de littérature anglo-américaine Francesco Rognoni, qui a approfondi ce même discours, en mettant en relation les réflexions de Baudelaire avec quelques lignes du poète romantique Percy Bysshe Shelley. Après une brève exposition du pianiste et musicien Ruggero Pilla, ce dernier et l’actrice Elena Gaffuri ont pris le devant de la scène, introduits à chaque nouvelle pièce par de rapides et claires présentations.
La salle a sans doute appréciée cette exhibition très bien concertée. Voilà justement la magie de Baudelaire et, plus en général, de la littérature : la capacité de joindre dans un sentiment commun des personnes de n’importe quel âge et sensibilité. Les sinuosités musicales et gestuelles des deux interprètes ont permis de percevoir la véritable force de ces poèmes, comme si ce mystérieux tourbillon de sensations caressantes bien que chaotiques, plein d’angoisse et idéal, aidait les Fleurs baudelairiennes à s’éclore peu à peu sous nos yeux. Le sentiment des artistes, véhiculant la force de l’inimitable dictée du poète, se répandait comme un torrent dans la salle en stimulant les sens et l’imagination du public. Le va-et-vient des symboles aquatiques qui naviguaient sans cesse sur la surface de la musique et les amours bouleversants, penchés sur le bout des lèvres d’Elena Gaffuri, s’épousaient à la perfection ; deux entités qui, à l’ombre de l’aile de Baudelaire, ont réussis à libérer les mots emprisonnés dans la page en les faisant voler comme de magnifiques albatros. Si l’art est vraiment le moyen qui permet à l’homme de toucher à une quelque forme d’éternité, on peut bien dire que les deux artistes dans cette occasion ont rempli leur tâche. On a pu rencontrer pendant quelques instants l’esprit d’un homme génial. La conclusion, avec un bis du poème Le Jet d’eau réclamé avec ferveur par la plupart du public, a été aussi très remarquable.
Enfin, cet événement baudelairien a offert au public un après-midi alternatif et agréable, bien organisé, qui a su montrer que la culture et, en particulier, la poésie n’ont pas encore succombé dans ce monde dévoué plus aux chiffres qu’aux lettres.
Gabriele Porrometo
Università Cattolica del Sacro Cuore
POUR CITER CET ARTICLE Gabriele Porrometo, « La nouvelle voix de Baudelaire : ‘La musique creuse le ciel’ », Nouvelle Fribourg, n. 1, juin 2015. URL : https://www.nouvelle-fribourg.com/musee-dart-et-dhistoire/la- nouvelle-voix-de-baudelaire/