ISSN 2421-5813

Ô soleil de minuit sans sommeil solitude

Dans les logis déserts d’hommes où vous veillez

Épouses d’épouvante elles font leur étude

Des monstres grimaçants autour de l’oreiller

 

Qui donc a déchaîné la peur cette bannie

Et barbouille de bleu panique les carreaux

Le sable sous le toit Dans le cœur l’insomnie

Personne ne lit plus le sort dans les tarots

 

Sorciers vous pouvez danser dans la bruyère

Elles ne veulent plus savoir si tu leurs mens

Amour qui les courbas mieux qu’aucune prière

Quand la gare de l’Est eut mangé leurs amants

 

Femmes qui connaissez enfin comme nous-mêmes

Le paradis perdu de nos bras dénoués

Entendez-vous nos voix qui murmurent Je t’aime

Et votre lèvre à l’air donne un baiser troué

 

Absence abominable absinthe de la guerre

N’en es-tu pas encore amèrement grisée

Nos jambes se mêlaient t’en souviens-tu naguère

Et je savais pour toi ce que ton corps faisait

 

Nous n’avons pas assez chéri ces heures doubles

Pas assez partagé nos songes différents

Pas assez regardé le fond de nos yeux troubles

Et pas assez causé de nos cœurs concurrents

 

Si ce n’est pas pourtant pour que je te le dise

Pourquoi m’arrive-t-il d’entendre ou de penser

Si les nuages font au jour des mèches grises

Et si les arbres noirs se mettent à danser

 

Écoute Dans la nuit mon sang bat et t’appelle

Je cherche dans le lit ton poids et ta couleur

Faut-il que tout m’échappe et si ce n’est pas elle

Que me fait tout cela Je ne suis pas des leurs

 

Je ne suis pas des leurs puisqu’il faut pour en être

S’arracher à sa peau vivante comme à Bar

L’homme de Ligier qui tend vers la fenêtre

Squelette par en haut son pauvre cœur barbare

 

Je ne suis pas des leurs puisque la chair humaine

N’est pas comme un gâteau qu’on tranche avec le fer

Et qu’il faut à ma vie une chaleur germaine

Qu’on ne peut détourner le fleuve de la mer

 

Je ne suis pas des leurs enfin parce que l’ombre

Est faite pour qu’on s’aime et l’arbre pour le ciel

Et que les peupliers de leur semence encombrent

Le vent porteur d’amour d’abeilles et de miel

 

Je suis à toi Je suis à toi seule J’adore

La trace de tes pas le creux où tu te mis

Ta pantoufle perdue où ton mouchoir Va dors

Dors mon enfant craintif Je veille c’est promis

 

Je veille Il se fait tard La nuit du moyen âge

Couvre d’un manteau noir cet univers brisé

Peut-être pas pour nous mais cessera l’orage

Un jour et reviendra le temps des mots croisés

 Louis Aragon,   Le Crève-cœur

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