La chair humaine
Une femme charmante qui pleurait
habillée de noir et de gris
m’a jeté par la fenêtre du ciel
Ah que la chute était grande ce jour où mourut le cuivre
Longtemps la tête pleine de becs d’oiseaux multicolores
j’errai alentour des suaires
et j’attendai devant les gares
qu’arrive le corbillard qui en fait sept fois le tour
Parfois une femme au regard courbe
m’offrait son sein ferme comme une pomme
Alors j’étais pendant des jours et des jours
sans revoir la nuit et ses poissons
Alors j’allais par les champs bordés de jambes de femme
cueillir la neige et les liquides odorants
dont j’oignais mes oreilles
afin de percevoir le bruit que font les mésanges en
mourant
Parfois aussi une vague de feuilles et de fruits
déferlait sur mon échine
me faisait soupirer
après l’indispensable vinaigre
Et je courais et je courais à la recherche de la pierre folle
que garde une jambe céleste
Un jour pourtant plein d’une brumeuse passion
je longeais un arbre abattu par le parfum d’une femme
rousse
Mes yeux me précédaient dans cet océan tordu
comme le fer par la flamme
et écartaient les sabres emmêlés
J’aurais pu forcer la porte
enroulée autour d’un nuage voluptueux
mais lassé des Parques et autres Pénélopes
je courbai mon front couvert de mousses sanglantes
et cachai mes mains sous le silence d’une allée
Alors vint une femme charmante
habillée de noir et de gris
qui me dit
Pour l’amour des meurtres
tais-toi
Et emporté par le courant
j’ai traversé des contrées sans lumière et sans voix
où je tombais sans le secours de la pesanteur
où la vie était l’illusion de la croissance
jusqu’au jour éclairé par un soleil de nacre
où je m’assis sur un banc de sel
attendant le coup de poignard définitif
Benjamin Péret, Le Grand Jeu