Le corps dansant chez Mallarmé : une quête de l’Absolu
Résumé Le corps, entité mystérieuse et complexe étudiée depuis toujours, se transforme chez Mallarmé en la figure féminine d’une danseuse. Dépourvu de tout aspect matériel et tangible, il devient un tourbillon évanescent, sensation visuelle vague et indéfinie qui se répand dans les vers et dans la langue en changeant leur structure profonde. La métaphore de la danseuse, instrument poétique et source d’inspiration, contribue à la création d’une poésie nouvelle, anticipatrice des avant-gardes du XXe siècle.
Mots-clés Corps – danse – symbolisme – Mallarmé – danseuse
Abstract The body, a fascinating and complex object of study in the course of history, is considered in Mallarmé’s poetry in the feminine shape of a dancer. Deprived of every concrete and tangible aspect, it changes into a vanishing whirlwind, a blurry and undefined visual perception influencing the structure of the verse and the organization of language. Thus, the metaphor of the dancer, which is both a poetic instrument and a fundamental source of inspiration, contributes to the shaping of a new poetry that foreshadows 20th-century avant-gardes.
Keywords Body – ballet – Symbolism – Mallarmé – dancer
L’enjeu de cette analyse est à double visée : tout d’abord nous analyserons la conception mallarméenne du corps en tant qu’instrument artistique. Ensuite, nous verrons, comment ce même corps dansant forge le vers poétique en établissant une alliance profonde entre la Parole et l’Univers.
« Ce petit homme féminin »
L’Obscuritas qui a toujours marqué tant la production que la réception de Mallarmé touche au niveau thématique et à l’agencement poétique, ou pour mieux dire syntaxique. L’auteur est en effet arrivé à bouleverser la tradition littéraire précédente en établissant une union tout à fait originale de la poésie et des arts, particulièrement des arts performatifs – la musique, la danse, la pantomime et le théâtre – que l’écrivain a décrits d’une manière inédite, en faisant émerger leur essence primordiale et en soulignant leur capacité communicationnelle. Le poète définit ces arts comme des contraires identiques qui, à la fois, se complètent et se remplacent l’un l’autre. Son analyse insiste surtout sur la musique qu’il définit comme « l’Indicible et le Pur, la poésie sans mots » ; à ce propos, il existe un grand nombre d’écrits dans lesquels le poète se concentre sur le pouvoir évocateur de la Mélodie, sur sa capacité d’entrer en nous et de faire ressurgir nos peurs, nos ambitions, nos désirs, mais surtout notre besoin d’arriver à une Plénitude, à l’Absolu. Dans Plaisir sacré, Mallarmé affirme que sa
tentation sera de comprendre pourquoi ce qui préluda comme l’effusion d’un art, acquiert, depuis, par quelle sourde puissance, un motif autre. Attendu, effectivement, que les célébrations officielles à part, la Musique s’annonce le dernier et plénier culte humain.[1]
S’il est vrai que l’Art des sons occupe un espace assez considérable dans l’œuvre mallarméenne, il est certain aussi que l’importance attribuée par Mallarmé à la danse est immense. En fait, elle est si profondément liée à la musique que parfois « Much of what Mallarmé says about the performing arts in general seems to be best exemplified by dance »[2]. L’Art du corps donc, mieux que les autres, manifeste l’idéal poétique de ce « petit homme féminin » dont la pensée est l’une des plus complexes et originales du Symbolisme.
« L’arcane de la Danse »
Si quelqu’un a éprouvé toute l’intensité des émotions que peut provoquer la danse, c’est bien Mallarmé. La danse est une force, une magie qui nous prend de l’intérieur, qui nous vide, elle arrive à contrôler notre corps. Elle nous aliène et nous dématérialise, mais elle nous fait également voler. Que ressentaient de tout cela les danseuses aimées par le poète ? Nous ne le savons pas, mais nous savons ce que chacun d’entre nous ressent en observant un corps qui, ravi par la même passion, s’abandonne à une danse de voiles et d’écume, à un tourbillon impossible à arrêter.
Cette même sensation nous est restituée à travers les écrits mallarméens qui, au moyen d’un langage évocateur et suggestif, reproduisent l’intensité émotive déchaînée par les pas de la danseuse. L’objectif du poète n’est pas de contextualiser la danse en termes spatiaux et temporels, mais d’aboutir à une dimension intellectuelle et spirituelle. L’important est le Néant, cette impression de vide qui existe en nous, cette Idée comme raréfiée qui nous entraîne dans une quête tortueuse, désespérée et vaine :
Or, je cesserai de m’élever à aucune considération, que suggère le Ballet, adjuvant et le paradis de toute spiritualité, parce que d’après cet ingénu prélude, rien n’a lieu, sauf la perfection des exécutants, qui vaille un instant d’arrière-exercice du regard, rien… (Crayonné, p. 172)
Ou encore :
Seul principe ! Et ainsi que resplendit le lustre c’est-à-dire, lui-même, l’exhibition prompte, sous toutes les facettes, de quoi que ce soit et notre vue adamantine, une œuvre dramatique montre la succession des extériorités de l’acte sans qu’aucun moment garde la réalité et qu’il se passe, en fin de compte, rien. (Crayonné, p. 175)
La danse est le royaume des contrastes où ce qui est tangible entre en collision avec l’intangible, où le poids de la terre se heurte à la soif de voler, elle est le lieu dans lequel nous sommes vraiment nous-mêmes et où chaque muscle, chaque millimètre de notre corps est totalement contrôlé par nous, mais elle est en même temps le lieu où nous cessons d’exister et où nos souffles, nos bras, nos jambes deviennent des formes sinueuses et sensuelles, légères et délicates, ou explosives et impérieuses selon ce que la mélodie ordonne à notre cœur.
C’est grâce à ces caractéristiques que la danse devient chez Mallarmé le moyen privilégié pour atteindre l’Absolu, et que le corps de la danseuse devient l’instrument servant à écrire une nouvelle poésie, un « poème dégagé de tout appareil du scribe». En effet, la danse transforme le corps et la matière tout en devenant la « seule capable par son écriture sommaire, de traduire le fugace et le soudain jusqu’à l’idée »[3], elle est « fureur éparse en écumes »[4], « l’incorporation visuelle de l’idée »[5]. Le corps, en particulier le corps féminin de la danseuse, n’est plus conçu comme quelque chose de matériel et de tangible : pour le poète, il est un tourbillon évanescent qui n’a plus rien de concret. La matière bouge, se dissipe, le corps de la danseuse devient une sensation visuelle vague et indéfinie, une lumière puissante, une « impatience de plumes vers l’Idée » :
Il y faudrait substituer je ne sais quel impersonnel ou fulgurant regard absolu, comme l’éclair qui enveloppe, depuis quelques ans, la danseuse d’Édens, fondant une crudité électrique à des blancheurs extra-charnelles de fards, et en fait bien l’être prestigieux reculé au-delà de toute vie possible. (Crayonné, p. 175)
Les gestes de la danseuse apparaissent comme une trace à suivre pour interpréter le monde, ils sont la lame qui déchire le voile de la réalité et qui ouvre, d’une façon immédiate, le monde de l’Idée :
Point ! De là on partait, vous voyez dans quels mondes, droit à l’abîme d’art. La neige aussi dont chaque flocon ne revit pas au va-et-vient d’un blanc ballabile ou selon une valse, ni le jet vernal des floraisons : tout ce qui est, en effet, la Poésie, ou nature animée, sort du texte pour se figer en des manœuvres de carton et l’éblouissante stagnation des mousselines lie et feu. Aussi dans l’ordre de l’action, j’ai vu un cercle magique par autre chose dessiné que le tour continu ou les lacs de la fée même (Crayonné, p. 170)
Par la légèreté de ses mouvements, la danseuse séduit le spectateur, elle entre dans son âme et réveille son instinct poétique :
(serais-tu perdu en une salle, spectateur très étranger, Ami) pour peu que tu déposes avec soumission à ses pieds d’inconsciente révélatrice ainsi que les roses qu’enlève et jette en la visibilité de régions supérieures un jeu de ses chaussons de satin pâle vertigineux, la Fleur d’abord de ton poétique instinct, n’attendant de rien autre la mise en évidence et sous le vrai jour des mille imaginations latentes : alors, par un commerce dont paraît son sourire verser le secret, sans tarder elle te livre à travers le voile dernier qui toujours reste, la nudité de tes concepts et silencieusement écrira ta vision à la façon d’un Signe, qu’elle est. (Crayonné, p. 174)
L’âme est donc conduite à s’interroger sur le sens du message que lui montre « l’inconsciente révélatrice ». Cependant, pour atteindre le Vrai, l’esprit doit délaisser toute rationalité, il doit se laisser envahir par l’inspiration que lui suggère la mélodie unie à l’écriture du corps. D’après Mallarmé, le spectateur détient en lui la clé pour interpréter le ballet, la danseuse a le pouvoir de faire remonter à la surface l’Idée qui est déjà cachée en nous et c’est seulement quand ce processus de lecture a lieu, quand l’âme est à même d’attribuer aux pas de la danseuse un sens métaphorique, que cette « synthèse mobile » atteint son but : elle se transforme en poème. Un poème en face duquel il convient de s’interroger :
L’unique entraînement imaginatif consiste, aux heures ordinaires de fréquentation dans les lieux de Danse sans visée quelconque préalable, patiemment et passivement à se demander devant tout pas, chaque attitude si étrange, ces pointes et taquetés, allongés ou ballons. « Que peut signifier ceci » ou mieux, d’inspiration, le lire. (Crayonné, p. 174)
Le spectateur est poussé à lire, il doit lire le corps. D’après Mallarmé la danse se révèle le langage optimal pour parler à la chair, à la part tangible qui constitue chacun d’entre nous. Au-delà du contrôle rationnel, ce sont les sensations, surtout visuelles et auditives, qui nous guident vers la limite du réel et au-delà d’elle :
Le ballet ne donne que peu : c’est le genre imaginatif. Quand s’isole pour le regard un signe de l’éparse beauté générale, fleur, onde, nuée et bijou, etc., si, chez nous, le moyen exclusif de le savoir consiste à en juxtaposer l’aspect à notre nudité spirituelle afin qu’elle le sente analogue et se l’adapte dans quelque confusion exquise d’elle avec cette forme envolée — rien qu’au travers du rite, là, énoncé de l’Idée, est-ce que ne paraît pas la danseuse à demi l’élément en cause, à demi humanité apte à s’y confondre, dans la flottaison de rêverie ? L’opération, ou poésie, par excellence et le théâtre. Immédiatement le ballet résulte allégorique : il enlacera autant qu’animera, pour en marquer chaque rythme, toutes corrélations ou Musique, d’abord latentes, entre ses attitudes et maint caractère, tellement que la représentation figurative des accessoires terrestres par la Danse contient une expérience relative à leur degré esthétique, un sacre s’y effectue en tant que la preuve de nos trésors. (Crayonné, p. 163)
L’opération qui, grâce au rite, conduit à l’Idée, requiert le corps et le corps nécessite de l’espace : il vit dans l’espace. De la même manière, le corps dansant occupe dans la réalité un certain espace qui lui est nécessaire pour se changer en tourbillon, pour poursuivre son vol vers l’Absolu.
Au niveau spatial comme au niveau temporel, le mouvement de la danseuse se tisse d’absence et de présence et c’est dans cette conquête de l’entière dimension humaine qu’elle se légitime comme mouvement d’être. En vertu de ce principe, le poète reproduit le même phénomène sur la page, il reconnaît au texte la nécessité qui régit les arts performatifs : l’écriture, en qualité d’art mobile, nécessite de moments d’absence et de présence, de blanc et de noir. C’est ce que nous allons démontrer dans la suite de l’analyse.
« Elle n’est pas une femme, mais une métaphore » : la variété du trope mallarméen
L’esthétique de Mallarmé est souvent associée à la métaphore de la danseuse (Crayonné, p. 171), puisque le corps humain représente, mieux que toute autre entité, la dimension où le monde matériel et celui de l’Idéal se rencontrent. La danse est l’une de ces images qui traduisent la fulgurance artistique, du réel à l’Idée pure. Cependant, on peut aisément repérer d’autres objets-métaphores qui absorbent les vers dans un mouvement d’intermittence entre absence et présence. En termes généraux, comme l’a bien relevé Sergio Cigada,
L’acte poétique – appréhension de l’absolu – consiste précisément à faire en sorte que l’objet transcende sa nature et sa qualité matérielles, se fasse incorporel et abstrait, atteigne une telle indétermination qu’il se rattache à la racine mystérieuse et transcendante qui seule lui permet de subsister.[6]
Le mouvement qui, du réel, conduit à la Réalité, se réalise toujours dans un processus de dissolution. Le point de départ se situe dans le réel, brisé et comme vaporisé à travers des procédés de dématérialisation conceptuelle et verbale qui entraînent le lecteur vers une dimension où tout l’existant se fonde dans une essence mystérieuse, l’essence du Vrai. Le processus s’articule en deux moments : en premier lieu, le poète, au moyen du langage qui est l’intermédiaire entre le monde sensoriel et l’âme, effectue une translation du réel vers l’Absolu-Néant. Ensuite, il nie son existence matérielle en recourant à une série de termes dont le contenu sémantique se caractérise par l’absence, la négativité. Tous ces mots, entrelacés dans le dynamisme syntaxique, contribuent à la création d’une poésie qui se dissout dans une dimension universelle supérieure, celle de l’Idée. En effet, comme le souligne D. A. K. Aish :
Il prend la formule traditionnelle de la métaphore, la perfectionne, la développe au plus haut degré de sa puissance, la transforme en un instrument capable de traduire son idéal élevé de la Littérature Pure.[7]
À côté de l’image de la danseuse, Mallarmé multiplie les objets qui suggèrent ce moment fulgurant, tels que le tourbillon, le vertige, le vent, le voile, les écumes, le vol et tous ces termes qui sont profondément liés par l’appartenance au champ sémantique de la dissolution. En particulier, on songe aux images des plumes ou des ailes, véhiculant la même idée de mouvement rapide vers le ciel. Bien que ces objets soient souvent appliqués au domaine de la danse, ils vivent d’une vie autonome en fonctionnant comme des catalyseurs d’un dynamisme prismatique.
Très souvent, ils fusionnent avec l’isotopie de la danse, la danseuse devenant un tourbillon ou un vent orageux. Cette dynamique se résume dans les métamorphoses de Loïe Fuller, « fontaine intarissable d’elle-même », « radieuse, froide la figurante », admirée par l’écrivain lors de sa danse qui la transforme en « fusion aux nuances véloces » et qui inspire à l’artiste l’idée d’une disparition poétique au profit d’un être « in-individuel ». La danseuse n’est qu’un « tourbillon de mousseline », une « fureur éparse en écumes », une « impatience de plumes vers l’idée », une « voltige », une « impulsion fugace en tourbillon », un « flocon d’où soufflé ? », un « mouvement pur », « Vertige ! », une « flottaison de rêverie », un « pli frémissant de sa jupe », une « envolée de vêtements à sa danse vertigineuse et puissante » et encore une « présence volante et assoupie de gazes » qui « apparaît, appelée dans l’air, se soutenir ». Pour résumer, la danse est « ailes, oiseaux et départs en l’à-jamais, des retours vibrants comme flèche »[8]. En somme :
Tout obéit à son impulsion, puis épuisée en le tourbillon, dehors de sa puissance, elle s’évoque soudain, par sa volonté disséminée aux extrémités diamantales de chaque aile (…) les derniers sursautements attardées d’écume et de lueur.[9]
L’ambition de Mallarmé est de créer un nouveau langage de la suggestion où chaque élément, de la syntaxe au sémantisme des mots, contribue à évoquer une idée de raréfaction. Plus généralement, le but de la langue est de devenir elle-même tourbillon, vent orageux, fulgurance. D’un point de vue lexical, la manifestation de cette puissance évanescente est confiée à des images aériennes (le vol, le tourbillon, la voltige), floues, raréfiées, comme la vapeur (« vaporeux l’ensorcellement des danses »), le parfum, les nuages (« enveloppera d’un nuage mobile votre aspect tout vaporeux »), ou encore à des images se référant à l’eau, comme le flocon de neige ou le jaillissement de fontaines.
À partir des exemples cités, il paraît évident qu’un certain nombre de métaphores s’inspirent du vent, un vent d’automne, un vent orageux (le vent est souvent assimilé à l’orage et par conséquent à la foudre et aux éclairs) qui se transforme aisément en tourbillon, en force de destruction, puissante, chassant les présences concrètes, mais surtout effaçant l’apparence et dévoilant, à travers les gestes de la danseuse, l’Absolu. En effet, le vent est choisi pour sa capacité de briser l’air, de bouleverser l’apparence et finalement d’entraîner avec lui des fragments du réel, reproduisant le mouvement foudroyant de l’inspiration poétique. La précision de chaque métaphore nous révèle l’attention avec laquelle Mallarmé l’élabore. Aish explique ainsi le procédé du poète :
[Mallarmé] dit ‘une fleur’ (…) il n’insiste ni sur la couleur, ni sur la forme. Il parle d’une aile, mais on ne sait pas de quel oiseau. (…) l’élément concret y sert tout simplement de point de départ, pour un réalisme symbolique en fuite vers l’idée.[10]
L’objet constituant la métaphore est donc dépouillé de toute caractérisation spécifique, il devient l’in-individuel et se transforme en une figure indéterminée, choisie pour sa capacité d’élever l’esprit jusqu’à l’idée ; plus cette figure est générale et indéfinie, plus il est possible de s’approcher de l’Absolu. Pour cette même raison, Mallarmé écrit :
À savoir que la danseuse n’est pas une femme qui danse, pour ces motifs juxtaposés qu’elle n’est pas une femme, mais une métaphore résumant un des aspects élémentaires de notre forme, glaive, coupe, fleur, etc., et qu’elle ne danse pas, suggérant, par le prodige de raccourcis ou d’élans, avec une écriture corporelle ce qu’il faudrait des paragraphes en prose dialoguée autant que descriptive, pour exprimer (…). (Crayonné, p. 171)
Ce processus se réalise de préférence dans une dissolution de l’ordre spatio-temporel qui privilégie les moments de transition, comme le crépuscule ou l’aube, où les traits du monde se transforment en couleurs et en nuances indéfinies, les moments où les contours s’estompent et laissent entrevoir ce qui se cache au-delà de l’apparence et finalement, les moments où l’esprit se prépare à voler, dans les rayons de plus en plus faibles du soleil, jusqu’à l’horizon et au-delà de lui. Cette phase d’altération et de passage est un topos très diffusé dans l’esthétique symboliste : Baudelaire le définit comme « l’instant où l’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient »[11] :
Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L’horizon délicatement.[12]
Dans cette strophe tirée de l’« Autre Éventail de Mademoiselle Mallarmé », le poète nous donne à voir le portrait d’un paysage indéterminé, immergé dans la lumière chaude et faible du crépuscule qui encadre le moment où la matière de l’éventail, désormais dissoute et semblable aux ailes d’un oiseau, accède à une nouvelle dimension où se fonde tout l’existant : l’Idée. Même dans ce cas, l’éventail se transmue en des formes aptes à manifester une tension foudroyante, puissante mais en même temps délicate et raréfiée – une tension qui anime constamment l’âme de l’auteur.
Pour finir, nous aimerions nous attarder sur une dernière image : celle du voile. Le voile est l’attribut essentiel de la danse, il est l’extension optimale, du point de vue symbolique, de la danseuse parce qu’il incarne une intermittence, une transparence qui relie et sépare simultanément le réel et le monde extrasensoriel, le monde de l’imagination. Le voile flotte dans l’air, en vibrant sous l’effet de la lumière[13], il tremble grâce aux mouvements de la danseuse qui deviennent ainsi un véhicule pour l’imagination. En tant que prolongement du corps, il amplifie le processus de dématérialisation auquel la chair est soumise et transforme la danseuse en tourbillon. Le poète met en relief son pouvoir suggestif dans le texte suivant :
Ainsi ce dégagement multiple autour d’une nudité, grand des contradictoires vols où celle-ci l’ordonne, orageux, planant l’y magnifie jusqu’à la dissoudre : centrale, car tout obéit à une impulsion fugace en tourbillons, elle résume, par le vouloir aux extrémités éperdue chaque aile. (Crayonné, p. 176)
Son efficacité naît de la dialectique entre la figure dynamique, mais solide, de la danseuse et la dilatation de l’espace qu’elle provoque, en créant un effet visuel qui s’imprime dans l’esprit du spectateur. Ce principe est utilisé par les grandes innovatrices du XXe siècle : nous faisons surtout référence à Isadora Duncan et à l’héroïne mallarméenne Loïe Fuller dont la recherche artistique a pour but la dissolution du corps et de l’espace en faveur du mouvement pur ; c’est selon la même conception que Mallarmé, dont l’objectif principal est la notion pure, utilise le voile.
Mais une danseuse apparue
Au fil des pages se profilent dans notre esprit les traits d’une figure dansante absorbant le public dans ses voltiges qui élèvent le poète-spectateur ; elle est une ombre légère et impalpable dont le cœur bat au rythme de l’inspiration artistique. En effet, c’est dans la structure sonore et syntaxique des vers que se meut le corps évanescent de la danseuse :
Au bain terrible des étoffes se pâme, radieuse, froide la figurante qui illustre maint thème giratoire où tend une trame loin épanouie, pétale et papillon géants, déferlement, tout d’ordre net et élémentaire. Sa fusion aux nuances véloces muant leur fantasmagorie oxyhydrique de crépuscule et de grotte, telles rapidités de passions, délice, deuil, colère : il faut pour les mouvoir, prismatiques, avec violence ou diluées, le vertige d’une âme comme mise à l’air par un artifice. (Crayonné, p. 174)
Le spectacle décrit est merveilleux et révèle la force brisante d’un corps, notre corps, le corps humain, qui se découpe dans l’espace, qui le possède, qui s’en libère, qui se dématérialise et qui s’en va. Mallarmé aime ce qui s’enfuit, les ombres, le brouillard, les fantômes, les parfums, les vapeurs, il est fasciné par tout ce qui est inconsistant, presque imperceptible et la danseuse résume en elle toutes ces caractéristiques. Mallarmé rejette la ballerine en tant qu’individualité, il la réduit à un simple mouvement et à une pure capacité expressive, presque un fantôme, dégagé de toute consistance individuelle et psychologique :
Une armature, qui n’est d’aucune femme en particulier, d’où instable, à travers le voile de généralité, attire sur tel fragment révélé de la forme et y boit l’éclair qui le divinise ; ou exhale, de retour, par l’ondulation des tissus, flottante, palpitante, éparse cette extase. Oui, le suspens de la Danse, crainte contradictoire ou souhait de voir trop et pas assez, exige un prolongement transparent. (Crayonné, p. 177)
On retrouve ici la métaphore du voile qui montre, à travers ses jeux de transparence, que la danse est un processus d’auto-transformation où un élément n’a pas d’importance par lui-même, mais en acquiert à partir du moment où il entre en interaction avec les autres et produit le système-corps. L’identité de chaque partie n’a donc aucune valeur et l’identité de l’unité non plus ; ce qui importe, c’est le fait que cette machine dépersonnalisée, cette « armature » anonyme fasse trembler l’air à travers ses mouvements. Encore une fois, l’objectif est la manifestation de la nature dynamique d’un corps, dépourvu de toute caractérisation, qui corresponde au dynamisme du processus poétique :
À savoir que la danseuse n’est pas une femme qui danse, pour ces motifs juxtaposés qu’elle n’est pas une femme, mais une métaphore résumant un des aspects élémentaires de notre forme, glaive, coupe, fleur, etc., et qu’elle ne danse pas.
Or, la dépersonnalisation obtenue par le mouvement n’est pas seulement un attribut fondamental du corps dansant, mais aussi un principe essentiel de l’esthétique mallarméenne : lorsque Mallarmé parle de sa métaphore, il se réfère indirectement à sa poésie et surtout à son aspiration de poète. Il s’identifie avec la danseuse qui disparaît dans ses gestes, s’effaçant dans le « cercle magique » du ballet en faveur du pur mouvement. Son ambition poétique est d’être englobé dans sa propre écriture, d’effacer sa présence et de devenir, comme la danseuse, un intermédiaire, un vecteur, une transparence à travers laquelle passe le mouvement poétique, en vol vers la « notion pure »[14]. Nous retrouvons son désir d’effacement du moi lyrique dans le passage suivant :
C’est t’apprendre que je suis maintenant impersonnel, et non plus Stéphane que tu as connu, — mais une aptitude qu’a l’Univers Spirituel à se voir et à se développer, à travers ce qui fut moi. Fragile comme est mon apparition terrestre, je ne puis subir que les développements absolument nécessaires pour que l’Univers retrouve, en ce moi, son identité.[15]
Ou encore :
L’œuvre pure implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l’initiative aux mots, par le heurt de leur inégalité mobilisés.[16]
Dans sa description de la danse, Mallarmé, conformément aux danseuses-innovatrices de son siècle, s’approche de la philosophie de l’instant de Nietzsche, en représentant ces contours flous qui surgissent dans l’éphémère, en peignant un mouvement qui n’a pas le temps de naître parce qu’il s’est déjà dissous comme l’écume de la mer. La performance de la danseuse n’est qu’une succession de pas enchaînés, dans lesquels l’existence de chacun dépend entièrement de la survenue du précédent, d’où il naît ; mais en même temps, pour que le second existe, le premier doit mourir. La ballerine est, par conséquence, l’acte présent qui n’a plus rien du passé et qui n’est pas encore le futur, elle est une évolution libre dont le pouvoir de suggestion dépend du fait qu’elle offre son apparence et qu’elle cache son intériorité. Cette succession d’intermittences et de paradoxes, dans lesquels l’existence d’un élément dérive de l’absence de l’autre, qui doit pourtant avoir été précédemment, crée un cercle continu : « Aussi dans l’ordre de l’action, j’ai vu un cercle magique par autre chose dessiné que le tour continu ou les lacs de la fée même »[17]. C’est la magie du « rite » (la danse) qui, comme un sortilège, ouvre la voie à l’Infini.
Comme dans tout rite, la danse a son officiant qui détient les secrets du culte et qui a le devoir de les révéler aux profanes. Cet officiant est la danseuse :
Cependant non loin, le lavage à grande eau musical du Temple, qu’effectue devant ma stupeur, l’orchestre avec ses déluges de gloire ou de tristesse versés, ne l’entendez-vous pas? Dont la Danseuse restaurée mais encore invisible à de préparatoires cérémonies, semble la mouvante écume suprême. (Crayonné, p. 189)
Dans le Crayonné au théâtre, la ballerine est définie comme « inconsciente révélatrice » du « poème instinct » de l’écrivain : en effet, Mallarmé reconnaît en elle un « Signe » poétique sur lequel il projette sa propre conscience de poète. La danseuse est une « incorporation visuelle de l’Idée » qui restitue au spectateur-poète l’intériorité de son âme en lui permettant de réfléchir sur sa poétique : « Toute émotion sort de vous, élargit un milieu : ou sur vous fond et l’incorpore » (Crayonné, p. 173, 176). Comme l’affirme Céline Torrent, « Le point de vue de Mallarmé est finalement certes celui du critique de danse, ou même du simple spectateur, mais avant toute chose celui du poète »[18]. Le regard du poète-spectateur ne s’arrête pas sur la qualité de la danse, mais sur l’aptitude des gestes à réveiller son instinct poétique. Dans cette perspective, Mallarmé écrit, au moyen d’un corps dansant, son propre poème mental, tout en projetant son écriture intérieure sur la danseuse qui crée un « poème dégagé de tout appareil du scribe ». En qualité de médiatrice entre le monde sensible et la dimension intangible, la danseuse incarne la conscience poétique de l’écrivain et la transforme en élément visible et concret bien avant que le poète ne le fasse avec l’encre de sa plume. Elle est un « Signe » qui livre inconsciemment au poète les concepts présents dans son esprit et elle est aussi le vecteur d’un poème latent, c’est-à-dire l’instrument non sémantique à travers lequel le poète compose sa poésie. Il s’agit d’un mouvement circulaire qui commence dans l’âme de l’auteur, qui se déverse sur la figure de la danseuse où l’intériorité du poète se révèle, devient visible et revient finalement à lui. C’est ce que Céline Torrent appelle « poéographie », c’est-à-dire la verbalisation, à travers la danseuse, de l’intériorité poétique. Comme Mallarmé l’affirme, la danseuse est un instrument, un Signe :
À coup sûr on opérera en pleine rêverie, mais adéquate : vaporeuse, nette et ample, ou restreinte, telle seulement que l’enferme en ses circuits ou la transporte par une fugue la ballerine illettrée se livrant aux jeux de sa profession. Oui, celle-là (serais-tu perdu en une salle, spectateur très étranger, Ami) pour peu que tu déposes avec soumission à ses pieds d’inconsciente révélatrice ainsi que les roses qu’enlève et jette en la visibilité de régions supérieures un jeu de ses chaussons de satin pâle vertigineux, la Fleur d’abord de ton poétique instinct, n’attendant de rien autre la mise en évidence et sous le vrai jour des mille imaginations latentes : alors, par un commerce dont paraît son sourire verser le secret, sans tarder elle te livre à travers le voile dernier qui toujours reste, la nudité de tes concepts et silencieusement écrira ta vision à la façon d’un Signe, qu’elle est. (Crayonné, p. 174)
En bref, l’efficacité de la danseuse-métaphore est due à la puissance créatrice de la danseuse, qui, tout comme le poète, a pour ambition de transcender le temps et l’espace pour arriver à quelque chose d’autre : pour Mallarmé cet Autre est l’Idée, l’Absolu, la Notion Pure ; pour la danseuse, c’est le pur dynamisme.
La Poésie et le Corps : le dualisme du monde
Au-delà de la vision chrétienne qui mortifie le corps, dans la culture païenne, le corps et l’âme ne sont pas organisés selon une structure hiérarchique, mais tous deux sont également dignes d’importance en tant que parties de l’Être ; de manière identique, la littérature et les arts figuratifs ne sont que deux moyens différents pour exprimer des aspects distincts d’un même concept : l’Idée. Conformément à cette affirmation, Mallarmé soutient que l’art et la littérature ne sont ni rivaux, ni placés à deux niveaux d’importance différents ; selon lui, ce sont deux réalités qui s’intègrent et se compensent l’une l’autre. Son ambition, manifestée dans le projet du Livre, est de créer une langue idéale. Le poète part de la conscience de ce dualisme, décidé à le surmonter et à le résoudre à travers la création d’une nouvelle alliance entre la parole et l’Univers, telle que le réel se dissolve et que les mots disparaissent dans l’Unité de la notion pure. En 1867, dans une lettre adressée à Villiers de l’Isle-Adam, Mallarmé déclare à son ami qu’il a compris « la corrélation intime de la Poésie avec l’Univers »[19]. En effet, après une période de crise qui l’a troublé durant plusieurs années, l’écrivain intensifie sa recherche à travers une véritable expérimentation linguistique. À propos de cette tentative de fondre les aspects tangibles et intangibles dans un principe supérieur, Morgan Gaulin parle d’une « cosmopoétique », qu’il définit comme « l’intuition, selon laquelle tout participe de tout (…) ces rapports entre choses, entre temps. La corrélation entre beauté, Poésie, art et Univers, implique que tout se trouve lié en un rapport de correspondance »[20]. Cependant, ce concept de dualisme et les tentatives de le surmonter se traduisent non seulement dans une recherche abstraite, mais aussi dans une structuration précise de l’espace et du temps sur la page du poème aussi bien que dans le mouvement de la danseuse. Le temps et l’espace se créent par des intermittences entre la présence et l’absence, le blanc et le noir. En effet, une danseuse a besoin avant tout, pour danser, d’un espace vide autour d’elle et de son corps, qui correspondent au blanc de la page et au noir de l’encre.
Le vide est l’espace qui donne un sens au mouvement du corps, alors que le corps est l’entité qui donne un sens à l’espace en le modelant. Il s’agit d’une équation précise où le premier élément est indispensable au second, tout comme le second l’est au premier. De la même manière, le vers nécessite de moments de silence (au niveau temporel), de vide (au niveau spatial) et de moments de mouvement (la parole). Sans l’espace, sans les pauses, les mots ne seraient pas en mesure de véhiculer un sens et seraient donc inutiles ; parallèlement, une page vide, sans un texte qui la complète, serait tout à fait insignifiante.
Comme l’affirme H. Stafford, la syntaxe est un élément fondamental dans le processus de création artistique et « Mallarmé insists on dramatizing what other poets are keen to hide or simply take for granted : the sinews and structural processes of syntactic construction and creation »[21]. Elle est l’organisation, sur la page, des éléments noirs, qui, indirectement, règlent aussi les blancs :
Appuyer, selon la page, au blanc, qui l’inaugure, son ingénuité, à soi, oublieuse même d’un titre qui parlerait trop haut : et, quand s’aligna, dans une brisure, la moindre, disséminée, le hasard vaincu, mot par mot, indéfectiblement le blanc revient, tout à l’heure gratuit, certain maintenant, pour apprendre que rien au-delà et authentiquer le silence.[22]
Le vers répond à une construction géométrique qui n’a plus rien à voir avec la métrique traditionnelle, mais devient un jeu de blancs et de noirs, de présences et d’absences, une succession de mots et de pauses qui cherchent à reproduire sur la feuille le tourbillon, le vent orageux ou le vol de la danseuse. Le vers acquiert un composant qui n’est plus seulement musical mais visuel, il devient un dessin qui incarne, avec ses contenus et sa musicalité, une danse, une musique.
Mallarmé cherche, en effet, à créer un langage qui vise à parler à l’esprit aussi bien qu’au corps et qui, par conséquent, en résumant les capacités expressives des arts et de la littérature, amène immédiatement à l’Idée : « C’est de l’intellectuelle parole à son apogée que doit avec plénitude et évidence, résulter, en tant que l’ensemble des rapports existant dans tout, la Musique ». Ce qui amène à penser que la poésie est pour Mallarmé l’art suprême. Supérieur à la musique, dont il dit dans ce même texte qu’elle ne connaît pas son propre sens. Par conséquent, le vers n‘est plus conçu comme un ensemble de mots qui ont chacun une identité individuelle, mais comme un “mot total” :
Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cet isolement de la parole : niant, d’un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l’artifice de leur retrempe alternée en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment ordinaire d’élocution, en même temps que la réminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère.
Comme le ballet de la danseuse, le vers est un mouvement, dans lequel
[Les mots] s’allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries, remplaçant la respiration perceptible en l’ancien souffle lyrique ou la direction personnelle enthousiaste de la phrase.[23]
Les éléments de cette ‘danse’ de la langue sont liés à travers une construction dynamique :
Les mots, d’eux-mêmes, s’exaltent à mainte facette produite la plus rare ou valant pour l’esprit, centre du suspens vibratoire, qui les perçoit indépendamment de la suite ordinaire, projetés, comme en parois de grotte, tant que dure la mobilité.[24]
Les mots sont les pas d’une chorégraphie qui reproduisent les « sinueuses et mobiles variations de l’Idée (La Musique et les Lettres) » et qui se concrétisent en une géométrie de blanc et de noir. Dès lors, modifier un seul élément signifie bouleverser le résultat final, le Tout. Chaque composant doit donc être organisé selon des procédés presque mathématiques. La disposition typographique est donc fondamentale, car elle aide le lecteur à s’apercevoir de la structure du vers, de ses pauses et surtout du rythme : ce dernier est l’élément qui permet à la langue de l’esprit de parler au corps. C’est à cause de cette rigueur que le texte mallarméen devient obscur. Il est, en effet, difficile de voir, dans les mots de la poésie, les gestes de la danseuse, les notes de la mélodie. Le lecteur lit bien le vers, mais ce n’est pas ce que veut Mallarmé. Le vers doit être vécu, il faut s’y immerger parce qu’il est une mise en style du monde, une re-disposition des parties formant le Tout.
Le corps dansant
Dans toute l’œuvre de Mallarmé la métaphore du corps devient à la fois un instrument artistique de réflexion sur les possibilités de l’art lui-même et un reflet de son aspiration ultime. Il aimerait, en effet, tout comme la danseuse, disparaître, confondu, dans son poème. Pour cette raison la métaphore envahit le texte au niveau intellectuel aussi bien que linguistique et elle ne se limite pas aux changements de la femme, mais elle intervient symboliquement dans le rapport entre l’artiste et son poème. Divagations nous a montré le lien exclusif entre la danseuse et l’écrivain qui se manifeste à travers un mouvement qui part de la danseuse, arrive au poète et revient à elle. Elle, en dansant, se dissout devant les yeux du poète-spectateur qui, grâce à la sensibilité de son esprit, est le seul à pouvoir lui attribuer une valeur supérieure. Sa trace entre dans l’âme de l’écrivain et le pénètre, entraînant au-dehors ses pensées et l’Absolu qui est en lui. Finalement, l’esprit transpose sur la danseuse ce qu’elle a évoqué et le cercle se conclut. Ensuite, ce dynamisme intellectuel se déverse sur le plan linguistique et syntaxique, ce qui constitue, comme nous l’avons vu, le but principal de la recherche mallarméenne. Dans le projet du Livre, il veut en effet élaborer une langue nouvelle qui reproduise la puissance émotive et évocatrice de la danseuse en la mêlant avec la force intellectuelle du langage traditionnel. En conclusion, à travers un parcours simultané de négation et d’exaltation de la matière corporelle et linguistique, le poète accède enfin à un monde de Plénitude : celui de l’Idéal.
Bibliographie
AISH Deborah Amelia Kirk, La métaphore dans l’œuvre de Stéphane Mallarmé, Genève, Slatkine Reprints, 1981.
BAUDELAIRE Charles, Œuvres complètes, édition établie par C. Pichois, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade», 1976, 2 voll.
CIGADA Sergio, Études sur le Symbolisme, Milano, Educatt, 2011.
MALLARMÉ Stéphane, Œuvres complètes, édition établie par B. Marchal, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1998-2003, 2 voll.
MARCHAL Bertrand, Salomé : Entre vers et prose : Baudelaire, Mallarmé, Flaubert, Huysmans, Paris, José Corti, 2005.
SHAW Mary Lewis, Performance In The Texts Of Mallarmé: The Passage From Art To Ritual, Philadelphia, Pennsylvania State University Press, 1993.
STAFFORD Hélène, Mallarmé And The Poetics Of Everyday Life: A Study Of The Concept Of The Ordinary In His Verse And Prose, Amsterdam, Rodopi, 2000.
Sitographie
GAULIN Morgan, La Cosmopoétique de Mallarmé, in Dogma (En ligne) http://www.dogma.lu/txt/MG-Mallarme.htm.
TORRENT Céline, La Danseuse : un « poétique instinct » mallarméen, in Le Pan poétique des muses / Revue internationale de poésie entre théories et pratiques : « Poésie, Dansa et Genre » (En ligne), n’1 / http://www.pandesmuses.fr/article-la-danseuse-un-poetique-instinct-mallarmeen- , Printemps 2012, mis en ligne Mai 2012
Morgana Ferrini
Università Cattolica del Sacro Cuore di Milano
(étudiante, Licence en Langues, Cultures et Littératures d’Europe et d’Amérique)
POUR CITER CET ARTICLE Morgana Ferrini, « Le Corps dansant chez Mallarmé : une quête de l’Absolu », Nouvelle Fribourg, n. 1, juin 2015. URL : https://www.nouvelle-fribourg.com/archives/le-corps-dansant- chez-mallarme-une-quete-de-labsolu/
NOTES
1 Stéphane Mallarmé, Plaisir Sacré, Œuvres complètes, édition établie par Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, t. II, p. 235-236. Dorénavant OC II. Stéphane Mallarmé, Œuvres complètes, édition établie par Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, t. I. Dorénavant t. I.
2 Mary Lewis Shaw, Performance In The Texts Of Mallarmé : The Passage From Art To Ritual, Philadelphia, Pennsylvania State University Press (txt), 1993, p. 51.
3 Stéphane Mallarmé, Richard Wagner. Rêverie d’un poëte français, OC II, p. 154.
4 Stéphane Mallarmé, Billet à Whistler, OC I, p. 34.
5 Stéphane Mallarmé, Crayonné au théâtre, OC II, p. 173.
6 Sergio Cigada, Études sur le Symbolisme, Milano, Educatt, 2011, p. 131.
7 Deborah Amelia Kirk Aish, La métaphore dans l’œuvre de Stéphane Mallarmé, Genève, Slatkine Reprints, 1981, p. 6.
8 Stéphane Mallarmé, Crayonné au théâtre, OC II, p. 163, 170-171, 173-177 ; Autre éventail de Mademoiselle Mallarmé, OC I, p. 3 ; Billet à Whistler, OC I, p. 34.
9 Stéphane Mallarmé, Considérations sur l’art du ballet et la Loïe Fuller, Dossier de Divagations, OC II, p. 314.
10 Deborah Amelia Kirk Aish, Op. cit., p. 58.
11 Charles Baudelaire, Crépuscule du matin, dans Œuvres complètes, édition établie par Claude Pichois, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade», 1976, t. 1, p. 103.
12 Stéphane Mallarmé, Autre éventail de Mademoiselle Mallarmé, OC I, p. 31.
13 Le verbe ‘vibrer’ revient aussi dans Harmonie du soir de Ch. Baudelaire : « Voici venir les temps où vibrant sur sa tige, etc. »
14 Stéphane Mallarmé, Crise de vers, OC II, p. 213.
15 Stéphane Mallarmé, Lettre à Cazalis 14 mai 1867, OC I, p. 174.
16 Stéphane Mallarmé, Crise de vers, OC II, p. 211.
17 Stéphane Mallarmé, Crayonné au théâtre, OC II, p. 170.
18 Céline Torrent, La Danseuse : un « poétique instinct » mallarméen, in Le Pan poétique des muses / Revue internationale de poésie entre théories et pratiques : « Poésie, Dansa et Genre » (En ligne), n’1 / http://www.pandesmuses.fr/article-la-danseuse-un-poetique-instinct-mallarmeen-, Printemps 2012, mis en ligne Mai 2012, (date de consultation : octobre 2014).
19 Stéphane Mallarmé, Lettre à Villiers de l’Isle-Adam, OC I, p. 724.
20 Morgan Gaulin, La Cosmopoétique de Mallarmé, in Dogma (En ligne) http://www.dogma.lu/txt/MG-Mallarme.htm (date de consultation : novembre 2014).
21 Hélène Stafford, Mallarmé And The Poetics Of Everyday Life: A Study Of The Concept Of The Ordinary In His Verse And Prose, Amsterdam, Rodopi, 2000, p. 63.
22 Stéphane Mallarmé, Variations sur un sujet, OC II, p. 234.
23 Ibid., p. 211-213.
24 Stéphane Mallarmé, Le Mystère dans les lettres, OC II, p. 233.