La Grande Ivresse
Dieu verse sur la France une coupe d’étoiles.
Le vent porte à ma lèvre un goût du ciel d’été!
Je veux boire à l’espace fraîchement argenté.
L’air du soir est pour moi le bord de la coupe froide
où, les yeux mi-fermés et la bouche goulue
je bois, comme le jus pressé d’une grenade,
la fraîcheur étoilée qui se répand des nues.
Couché sur un gazon dont l’herbe est encor chaude
de s’être prélassé sous l’haleine du jour,
oh! Que je viderais, ce soir, avec amour,
la coupe immense et bleue où le firmament rôde!
Suis-je Bacchus ou Pan? Je m’enivre d’espace
et j’apaise ma fièvre à la fraîcheur des nuits.
La bouche ouverte au ciel où grelotte les astres
que le ciel coule en moi! Que je me fonde en lui!
Enivré par l’espace et les cieux étoilés,
Bayron et Lamartine, Hugo, Shelley sont mort.
L’espace est toujours là; il coule illimité;
à peine ivre il m’emporte, et j’avais soif encore!
Paul Fort, Ballades Françaises