Neiges
À Françoise-Renée Saint-Leger Leger
IV
Ainsi l’homme mi-nu sur l’Océan des neiges, rompant soudain l’immense libration, poursuit un singulier dessein où les mots n’ont plus prise. Épouse du monde ma présence, épouse du monde ma prudence !… Et du côté des eaux premières me retournant avec le jour, comme le voyageur, à la néoménie, dont la conduite est incertaine et la démarche est aberrante, voici que j’ai dessein d’errer parmi les plus vieilles couches du langage, parmi les plus hautes tranches phonétiques : jusqu’à des langues très lointaines, jusqu’à des langues très entières et très parcimonieuses,
comme ces langues dravidiennes qui n’eurent pas de mots distincts pour «hier» et pour « demain ». Venez et nous suivez, qui n’avons mots à dire: nous remontons ce pur délice sans graphie où court l’antique phrase humaine ;
Saint-John Perse, Exil