Première du monde
À Pablo Picasso
Captive de la pleine, agonisante folle,
La lumière sur toi se cache, vois le ciel :
Il a fermé les yeux pour s’en prendre à ton rêve,
Il a fermé ta robe pour briser tes chaînes.
Devant les roues toutes nouées
Un éventail rit aux éclats.
Dans les traîtres filets de l’herbe
Les routes perdent leur reflet.
Ne peux-tu donc prendre les vagues
Dont les barques sont les amandes
Dans ta paume chaude et câline
Ou dans les boucles de ta tête ?
Ne peux-tu prendre les étoiles ?
Écartelée, tu leur ressembles,
Dans leur nid de feu tu demeures
Et ton éclat s’en multiplie.
De l’aube bâillonnée un seul cri veut jaillir,
Un soleil tournoyant ruisselle sous l’écorce.
Il ira se fixer sur tes paupières closes.
Ô douce, quand tu dors, la nuit se mêle au jour.
Paul Éluard, Capitale de la douleur